Quarante ans ! Quatre décennies a organiser des rencontres entre boulistes opposant les hommes tentant de percer le mystère des parties de pétanque, ce jeu où le scénario s'invente au fur et à mesure du déroulement, où la conclusion est imprévisible, fertile en coups de théâtre, déroutante, contradictoire, quelque fois cocasse. L'intérêt suprême de ce sport résidant dans l'art de résoudre la pourtant simple, dans son énoncé, équation : "Tirer ou pointer", posée en 1907, sur une place de La Ciotat, à laquelle des millions d'hommes à travers le monde n'ont pu donner, à ce jour, de réponse définitive et incontestable.


Quarante ans ! Le bel âge pour une organisation sportive, et l'heure d'analyser le bilan.


Bientôt sexagénaire, bouliste depuis 1966, féru de statistiques, j'estime avoir disputé plus de quinze mille parties, dont environ quatre mille en compétition, je prétends être en mesure d'écrire cette tranche de vie à verser à notre patrimoine commun, ce livre relatera donc le parcours des pétanqueurs haut-saônois à travers les qualificatifs pour les championnats de France, sans omettre une note propre à l'historique de chaque société.


Mais avant de vous faire découvrir la réussite chronologique de nos boulistes ruraux, je désire vous faire partager l'ambiance des premiers pas de ce sport méditerranéen en terre haut-saônoise.


Je vais donc évoquer une époque où les "vieux ‘’ d'aujourd'hui étaient encore jeunes.....


En ce temps là les boules s'achetaient par deux, cein- turées par des lanières de cuir, le must étant les JB Champagne profondément marquées et striées, particularités qui séduisaient les pointeurs pour la plupart adeptes de boules quadrillées. Le marquage des stries  était important pour la longévité du matériel car peu de joueurs possédaient des «lisses».


En ce temps là .... Les concours très souvent disputés en triplettes se déroulaient le dimanche, dès le matin, avec le convivial, et souvent arrosé, repas de midi pris au restaurant ou dans le cadre d’un pique-nique spontané lors des journées ensoleillées. La pétanque ne s’étant pas encore affranchie de son folklore méridional, les marques d’alcool anisé étaient omniprésentes, dotant les compétiteurs de bobs publicitaires, et d'échantillons de leurs produits à chaque auteur de "bouchon" ou "carreau", sans oublier d'offrir l'apéritif. Cette animation, contribuait à l'ambiance festive dont bénéficiaient les villages organisateurs.


Les clubs ne possédant pas de boulodromes, les parties avaient lieu sur les routes ou places goudronnées, dans les chemins creux, ou dans les cours empierrées des fermes, sous le regard amusé des habitants. L'avantage de ces terrains non structurés résidait dans leur difficulté, et l'état du sol obligeait à tirer "plein fer" ou pour pointer, à envoyer dans des "données" naturelles de circonférences réduites. A cet exercice la précision de  Jean-Paul Soulié restera légendaire, car après avoir "déchiré le ciel", une petite "donnée" près du but lui permettait de placer une boule imprenable.


Ainsi chaque semaine, les compétiteurs se déplaçaient pour évoluer sur des terrains dont l'hétérogénéité était la principale caractéristique.

Ils devaient en découdre sur la place de Champagney où s'étaient donné rendez-vous toutes les pierres de la création.

Par comparaison, Ronchamp, et l'immense parking goudronné de la salle des fêtes, devenait une partie de plaisir.

Lure alternait les aires de jeux en proposant, soit le macadam de l'Esplanade ou les graviers ceinturant le stade, ou encore les terrains vagues de Saint-Germain, avec finale dans la cour du café exploité par le président Pédro Torrès.

Crochet par Saulnot, dans les cours privées, ou une fois l'an à Arcey  sur le parking empierré du cabaret du Gai Tonnelier, ici aussi les cailloux semblaient attendre avec délectation la souffrance des boulistes.

Raddon, et son éclairage rustique composé de multiples, guirlandes organisait ses rencontres soit sur du "sablé" soit sur un goudron très inégal. Chez les amis de la vallée du Breuchin, "avoir la pièce" déterminait souvent l'issue de la partie.


Les grands rendez-vous de la saison avaient lieu à Luxeuil, siège de deux clubs : "Les Ailes", situé en quartier militaire, dont le terrain était d'une diversité exceptionnelle et "La Ville", sous les platanes centenaires du champ de Foire ou pour son réputé grand prix organisé sur le "billard" du stade.

Vesoul utilisait le terrain des Allées, loin de sa configuration actuelle, dont le sol extrêmement dur n'autorisait que les frappes plein fer, aussi nombre de "pépères" brillaient, en jetant le but à dix mètres et pointant toutes les boules, tactique imparable, car peu tiraient de rafle, cette technique n'ayant atteint droit de cité qu'avec l'éclosion de Jean-Philippe Travaillot, le premier grand spécialiste du genre.


Enfin tous se rendaient avec plaisir à Noidans-le-Ferroux pour tenter de dominer graviers et dévers du boulodrome local.


Ce périple à travers les premiers terrains se terminant à Loulans, où chacun jouait .... où il pouvait !.


La dotation étant beaucoup moins importante qu'aujourd'hui, car les gains espérés n'étaient qu'accessoires. Par contre, la conquête de la coupe ou du challenge, souvent matérialisée par d'authentiques objets d'arts, motivait les champions.










Histoire de la pétanque Haut-Saônoise

Certains clubs faisaient preuve d'originalité dans le choix de leur récompense, telle cette coupe en bois, haute d'un mètre, offerte par le cabaret du "Gai Tonnelier" d'Arcey, au club de Saulnot. Légendaires, aussi, les avions "Mirage IV" usinés en cuivre poli, récompensant les vainqueurs du concours des Ailes, sans oublier le challenge Simon à  Fougerolles, tout en marbre, que j'ai eu la chance de gagner cinq fois et que je conserve précieusement.

Les concours, peu nombreux, bénéficiaient d'une attention particulière traduite par les organisateurs, rapidement certains rendez-vous annuels devinrent incontournables, c'était le cas de la semi-nocturne luxovienne utilisant la piste d'athlétisme en tuile pilée du stade, ou de la particulière nocturne de Raddon, dont les parties finales se disputaient devant un parterre de noctambules venant terminer leur soirée dès la sortie des bals des villages voisins, ces spectateurs, souvent "fatigués", étaient assez turbulents. Puis vint le challenge "Marie-Louise" du quinze Août, à Noidans-le-Ferroux, le premier concours à "mises gratuites", mais généreusement doté, attirant simultanément les champions régionaux et les équipes familiales.


Sous l'influence de dirigeants dynamiques, Vesoul lança le "Jeudi de l'Ascension", puis la "Semaine de la Pétanque" au retentissement extra-régional. Entre temps, les clubs du CDHS s'étaient fédérés afin de proposer un concours richement primé, une première fois à Luxeuil, puis à Lure et à Vesoul. Tout ce qui précède ne serait resté qu'anecdotique, s'il n'y avait pas eu les hommes dont la passion naissante allait tracer la voie aux générations suivantes.


Chaque club avait déjà ses leaders, surtout Luxeuil emmené par Bernard Genet et ses équipiers dont Louis Vernet au style particulier qui faisait bouger l'ensemble de ses membres avant de se stabiliser et expédier une boule qui manquait rarement son but.


Autre phénomène, Jean-Paul Jeanneret, athlète international, dont la force physique servait une décontraction donnant l'illusion que le poids des boules et la distance n'étaient qu'accessoires.


Leurs adversaires lurons n'étaient pas en reste, représentés par le grand frappeur Serge Carrière, et ses co-sociétaires André Frelin et surtout le surdoué Alain Jeanblanc, au geste exempt de fioritures faisant qu'à peine entré dans le rond, il lâchait déjà son bras.


Autre foyer de talents, le premier des clubs créé, Loulans-Cenans illustré par Tournier Jean et Bernard et la fantastique paire constituée par les frères Michel et Gérard Jeanmougin.


Le chef lieu du département s'appuyait sur Arnold, tireur si déterminé qu'il terminait son geste, quasiment sur la pointe des pieds, et sa triplette phare, emmenée par Brugirard et Soler, adepte d'une particulière tactique : Jet du but à six mètres et pas de tir sans avoir placé deux boules "en second", disposait avec le "père Koos" de l'une des légendes boulistes, joueur aimé et respecté, sa seule malice, diablement efficace, consistait à aller reconnaître le terrain, en traînant les pieds plus que raison afin de dégager les obstacles susceptibles de contrarier la course de sa future boule, souvent vainqueur, il remerciait ses adversaires de sa célèbre phrase : "Nous avons disputé une partie bien sympathique".

Souvent présents dans les derniers carrés, la doublette indissociable Saint-Père, tireur à main ouverte et Jean Mouret.


Cette brochette de champions devait également compter avec les "Italiens de Fresne-Saint-Mamès" Milési, Bau M., Bau D. et Rossi M. ou la doublette ronchampoise "de poche" Murcia et Genga et leurs concurrents de la vallée du Rahin Lhomme, Rougey, Toumier et Gerwatowiez.


Mais déjà des jeunes prometteurs, Jean-Paul Soulié, Hugo Bau, Georges Saint-Père, Louis Bossa apparaissaient pour que l'histoire continue à s'écrire,.